Meta et Spotify s’entendent décidément comme larrons en foire. Les deux entreprises, déjà engagées contre Apple et son application du DMA, s’attaquent ensemble à un autre dossier brûlant : celui de l’exploitation de l’intelligence artificielle générative dans l’Union européenne, au service de l’intérêt commun… et leurs propres intérêts, évidemment.
L’Union européenne est le premier grand bloc économique à avoir mis en place une législation contraignante sur l’intelligence artificielle. L’AI Act est entré en vigueur le 1er août, et s’il s’agit de créer un cadre général pour favoriser l’IA responsable, la mise en œuvre en elle-même n’est pas simple. Ce d’autant que d’autres textes, comme le règlement sur les marchés numériques (DMA) et le règlement général sur la protection des données (RGPD), ont aussi leur mot à dire avec leurs dispositions transversales.
L’IA générative bloquée en Europe
Les incertitudes juridiques engendrées par ce paysage législatif complexe ont tendance à effrayer les entreprises. Apple a ainsi décidé de ne pas livrer les fonctions Apple Intelligence dans l’UE jusqu’à la fin de l’année (sur l’iPhone et l’iPad, pas le Mac), le temps de discuter avec les autorités européennes.
Spotify et Meta ont décidé d’ajouter leur grain de sel. Daniel Ek, le patron du service de streaming, et Mark Zuckerberg, ont signé une lettre ouverte commune dans laquelle ils déplorent la « structure réglementaire fragmentée, marquée par une mise en œuvre incohérente » qui « freine l’innovation ».
« Au lieu de règles claires qui renseignent et guident les entreprises dans toute l’Europe, notre industrie fait face à des réglementations qui se chevauchent et à des directives incohérentes sur la manière de s’y conformer. Sans changements urgents, les entreprises européennes, les universitaires et d’autres risquent de passer à côté de la prochaine vague d’investissements technologiques et des opportunités de croissance économique ».
Les deux dirigeants dépeignent un déséquilibre de plus en plus grand entre l’UE et le reste du monde : « la régulation préventive des dommages théoriques pour des technologies naissantes comme l’IA open-source étouffe l’innovation ». Retarder l’utilisation de données utilisées dans d’autres régions signifie que les modèles d’IA les plus puissants ne « refléteront pas les connaissances, la culture et les langues de l’Europe ».
Ils plaident pour une structure réglementaire simplifiée, seule à même « d’accélérer la croissance de l’IA open-source » et qui soutiendrait les développeurs européens et les créateurs au sens général. Avec un environnement cohérent et des politiques « plus claires », l’Union européenne aurait une « chance réelle de mener la prochaine génération d’innovations technologiques », assurent-ils.
Cette lettre n’est pas complètement altruiste, bien sûr. Meta a décidé de priver l’UE de la nouvelle version de Llama, son dernier grand modèle de langage (LLM) open-source lancé il y a un mois. Le géant des réseaux sociaux a été obligé de reporter l’exploitation des données des utilisateurs européens, et reproche aux autorités de prendre trop de temps pour interpréter les lois existantes.
Spotify a aussi un intérêt dans l’histoire. Le service de streaming, qui utilise l’IA depuis de nombreuses années pour personnaliser les listes de lecture et multiplier les fonctions, voudrait semble-t-il se servir de Llama pour aller plus loin. Mais puisque le LLM est interdit d’UE — les développeurs non plus ne peuvent s’en servir —, ça coince.
Cette missive a-t-elle une chance de faire mouche ? Malgré la bonne volonté de ces règlements, il est désormais clair aujourd’hui qu’il existe des blocages sur l’IA générative dans l’Union européenne. Les autorités ne voudront sans doute pas rater le train de cette technologie, qui a tout de même besoin d’un encadrement très ferme pour éviter les abus.